Du 12 juin au 12 septembre, le Centre d'art contemporain de l'abbaye d'Auberive accueillera Alfred Kubin, maître de l'art mondial et vingt créateurs européens contemporains du dessin
Depuis 2006, l’ancienne abbaye cistercienne d’Auberive a ouvert, dans son aile ouest, un centre d’art contemporain pour présenter des expositions annuelles thématiques, ainsi que la collection des propriétaires de ce monument historique privé.
Après Rebeyrolle, Gillet, Nitkowski ; « Graffiti Stories » ; « Bettencourt, Chaissac, Pons » ; et « Claude Roffat, un parcours singulier », le Centre d’Art crée l’événement en exposant un maître de l’art mondial, Alfred Kubin, et une vingtaine de créateurs européens contemporains, de Rainer à Jean Rustin, de Velickovic à Paul Rumsey, de Fred Deux à Gourmelin.
Un haut lieu de culture
Si l’abbaye d’Auberive est l’une des plus accomplies de France, et mérite, parmi d’autres sites grandioses, une longue visite, le choc véritable est ailleurs. Quelque chose de grand et d’implacable existe là.
Auberive est plus qu’un haut lieu de culture. L’art le plus âpre, le plus dur et le plus troublant a trouvé sa demeure, par la puissance d’un habitat, et d’une volonté incarnée. Ceux qu’on appelle par commodité des artistes le sont ici dans leur profondeur brutale. Auberive est un archipel unique constitué d’îles graves, cruelles, douloureuses, et sublimes. Ce que la vie ordinaire cache obstinément, ce que la vie médiatisée est incapable d’affronter, ce que la vie ordinaire écarte avec soin, éclate en ce lieu prodigieux. La vie, la mort, la beauté, la douleur existent réunies au grand jour.
Les œuvres montrées plutôt qu’exposées, sont d’éblouissantes taches d’âme qui distraient les déserts du temps. Qui occupent un espace d’une incroyable densité. Et l’abbaye est à leur hauteur, elle ne les écrase pas non plus du poids de sa grandeur et de son passé. Elle accompagne…
Né d’artistes anonymes vivant parfois au secret, ou bien né de quelques-uns des plus grands peintres et sculpteurs français de notre époque, l’art d’Auberive est en voie de transformer à long terme le paysage esthétique hexagonal. Il y a quelque chose d’insensé à vivre la puissance émotionnelle qui se dégage du parcours d’art de l’abbaye. Auberive piège les attentes de l’art, ses attendus confortables, et ses provocations fabriquées. Auberive bouleverse par le tragique dévoilé de ces mortelles beautés.
Un maître de l'art mondial et un géant de la création
Pour la première fois, Alfred Kubin, géant de la création, se trouve présenté, cet été, au cœur du Centre d’Art de l’Abbaye.
Si celle-ci possède l’une des plus grandes collections d’art expressionniste de France, de Rebeyrolle à Rustin, de Lydie Arickx à Nitkowski, le fonds d’art brut et d’art des marges, de Fred Deux à Pierre Bettencourt, est également de tout premier plan. Ouvrir le grand public aux richesses des grands maîtres de l’art vivant, tel est le souhait des animateurs d’Auberive.
Relier les prodigieuses créations d’Alfred Kubin aux dessins de grands créateurs contemporains (une vingtaine) est une entreprise merveilleuse et audacieuse. Les conservateurs des grands musées autrichiens de Linz, de Salzburg et de Vienne ont donné leur accord, ainsi qu’un collectionneur privé de Bruxelles. Près de cent œuvres majeures de Kubin seront exposées.
Un catalogue, à la hauteur de l’exposition, sera édité par l’Abbaye. Claude Roffat, maître en livres d’art sera le créateur de l’ouvrage.
Christian Noorbergen, critique d’art et spécialiste de Kubin, est le commissaire de cette manifestation. Des conférences seront organisées en juin et juillet sur Alfred Kubin, et sur le dessin contemporain.
Alfred Kubin : entre rien et tout
Peintre, dessinateur et graveur autrichien, Alfred Kubin a un style très personnel se situant au confluant du Symbolisme, de l'Expressionnisme et du Surréalisme. Il fait surgir dans ses dessins un univers peuplé de visions crépusculaires ou nocturnes hallucinatoires. Mais le grotesque, l'humour, la raillerie, le sarcasme trouvent aussi leur place dans son art, souvent satirique et moralisateur. Les animaux sont représentés sous les traits d'êtres fabuleux, inquiétants ou espiègles.
Ses premières œuvres, encore sous l'influence du Symbolisme, sont des lavis légèrement repris d'aquarelle dont les teintes savamment dégradées dégagent une froideur sinistre. Les 20 compositions abstraites qu'il exécute en 1906 ne connaîtront pas de prolongement. À partir de 1907, Kubin n'a plus fait appel qu'à des moyens graphiques pour représenter son univers de crépuscules, d'étrangeté mais aussi de merveilleux. Plus tard, il aura recours de nouveau à l'aquarelle pour rehausser certaines parties de ses dessins. Auteur d'un roman fantastique, Die andere Seite (" l'Autre Côté "), paru en 1908, il illustre également de nombreux ouvrages, notamment ceux de Poe (le Scarabée d'or, 1910 ; le Cœur qui bat, 1923), de Hoffmann, de Flaubert, de Balzac, de Strindberg, de Dostoïevski, de Kleist, de Wedekind et de Tourgueniev. Les ondulations reptiliennes (qui apparaissent pour la première fois en 1907), les grilles et les réseaux qui se resserrent autour des objets sont spécifiques du style de Kubin. Son mépris pour la forme, son écriture désordonnée font qu'il demeure avant tout un dessinateur.
Au travers de l'oeuvre de Kubin, c'est toute la souffrance de l'homme qui transparaît. Kubin ayant perdu sa mère très tôt restera particulièrement marqué parc cet abandon, cette perte. Ses dessins sont hantés de personnages féminins qi débordent de puissance, qui viennent donner la mort. L'image de la mère très archaïque écrase ici l'homme et remet en question son unité, son autonomie et son droit à l'existence.